Histoires à travers le monde : coup de projecteur sur Curitiba

Curitiba est l'une des villes figurant sur notre carte des histoires sans voiture, qui célèbre les nombreuses villes qui prennent des mesures audacieuses pour retirer les voitures de la circulation. Dans ce billet, nous nous intéressons de plus près à la « capitale écologique du Brésil » , où le bus est roi...

Curitiba est une ville importante du sud du Brésil. C’est la capitale de l’État du Paraná, mais elle est reléguée au second plan par sa voisine du nord, São Paulo, engorgée par le trafic, où les bouchons peuvent atteindre 295 km de long, soit environ trois quarts de la distance (environ 400 km) qui sépare les deux villes.

Les mesures remarquables adoptées par Curitiba pour échapper au tout voiture ont été éclipsées par l’ombre de sa voisine.

Située sur un plateau, la ville est relativement sans relief, entourée de montagnes. Elle est à un kilomètre au-dessus de la surface de la mer, et possède un climat subtropical pluvieux, qui l’expose aux inondations. Les cartes portugaises du XIXe siècle montrent des tentatives précoces de planification urbaine où les rues sont tracées sur une grille à angles droits. Lorsque la ville moderne a commencé à s’étendre à un rythme rapide, elle a opté pour des solutions différentes en matière de planification, loin des tendances des autres centres urbains en expansion. Elle a fait le choix d’aménager des « zones piétonnes » plutôt que d’éventrer son centre par de grandes voies. Et face au risque d’inondation, elle a conçu des parcs pour permettre le drainage naturel des flux, plutôt que de construire des buses et des canaux en béton autour des cours d’eau. En outre, un grand plan de plantation d’arbres lui a valu d’être surnommée la « capitale écologique du Brésil ». En quarante années, entre 1970 et 2010, les espaces verts par habitant sont passés de moins d’un mètre carré à cinquante-deux mètres carrés. 

Mais, la question des modes de déplacement demeurait l’un des défis majeurs face à la croissance urbaine. Une zone industrielle destinée à l’industrie légère, la Cidade Industrial de Curitiba, s’est développée à la périphérie de la ville en 1973 pour attirer les entreprises. En conséquence, de nombreux travailleurs ont afflué vers la ville, augmentant ainsi le nombre de trajets de et vers la ville.

Avant 1960 Curitiba semblait prête, à l’instar d’autres villes, à adopter la culture automobile, « planifiant la motorisation complète de la ville ». L’industrie automobile elle-même était considérée comme une perspective pour l’avenir économique de la ville. Si ce plan avait vu le jour, Curitiba et ses nombreux bâtiments et quartiers historiques auraient été rasés pour ériger à la place des réseaux de larges voies « à la Haussman ». La ville connaitrait des niveaux d’embouteillages similaires à ceux d’autres villes d’Amérique latine, comme São Paulo, sa voisine.

Cependant, pour répondre aux problèmes de plus en plus nombreux de la ville, notamment la surpopulation et les embouteillages, les responsables locaux ont lancé un concours pour repenser le développement de Curitiba. Ainsi, en 1965, un nouveau projet pour « sortir de la voiture » a été adopté. Ce projet devait interdire l’accès des voitures au centre historique et au centre-ville. Il comprenait des mesures écologiques et plusieurs initiatives réalisées avec une participation très importante de la population. Développer les transports publics a également été considéré comme un moyen de remplacer les véhicules « faiblement occupés » qui encombraient toujours plus les rues de la ville.

À quoi allait ressembler le nouveau système ? L’une des solutions envisagées était la création d’un métro souterrain. Mais une telle approche aurait couté cher en temps et en argent.

Curitiba a finalement opté pour la mise en place d’un réseau de bus à bas cout, rapide et intégré, dont les stations surélevées, similaires à celles du métro, sont devenues emblématiques. 

Les premières voies de bus dédiées ont été créées en 1974 (leur cout était bien inférieur à celui du creusement de tunnels souterrains). En 1980, des stations similaires aux stations de métro souterraines ont été aménagées et, en 1991, des plateformes tubulaires ont été construites pour améliorer l’attractivité et le confort du système. Les véhicules les plus impressionnants sont les autobus biarticulés qui peuvent transporter jusqu’à 270 voyageurs. 

Par ailleurs, et progressivement, une tarification unique a été adoptée pour que le prix ne soit pas un obstacle pour les usagers les plus modestes, ou ceux qui doivent effectuer des trajets plus longs. Cette mesure a également permis de simplifier le système et d’en faciliter l’usage, d’écourter les transactions et de réduire les couts.

Différentes zones de la ville possédaient leurs propres entreprises d’autobus. Afin d’améliorer la coordination générale et d’éviter une concurrence potentiellement inefficace, un système de partage des recettes a été mis en place.

Le réseau de bus mis en place, pratique, intégré et accessible, a permis de réaliser l’un des plus grands objectifs de la transition vers des mobilités plus durables. Il s’agit d’un changement de modèle en passant de la voiture à un système de transport en commun par bus, plus efficace, moins dangereux et moins polluant. On estime à 27 millions le nombre de trajets en voiture évités en 1991 et à 28 % le nombre d’usagers de la voiture ayant opté pour le bus.

En 1993, le système de bus à haut niveau de service (BRT) a transporté 1,5 million de voyageurs quotidiennement. Il a été adopté par plusieurs villes dans le monde, des États-Unis jusqu’en Chine en passant par l’Afrique du Sud et l’Amérique latine, comme la ville de Bogotá en Colombie. 

 Aujourd’hui, le réseau de bus (BRT) de Curitiba couvre 8 villes voisines, transportant 1,9 million de passagers quotidiennement. Il remporterait l’adhésion de 89 % de la population. Des chercheurs de l’université de Californie résument ainsi la situation :

La transition vers le bus a diminué les embouteillages et la durée des trajets et a augmenté l’accessibilité. Grâce à ces changements, la ville a pu créer davantage de zones piétonnes rendant l’utilisation du système et les déplacements plus aisés.

Des difficultés liées à la croissance et à d’autres problèmes demeurent. Durant les vingt dernières années, les embouteillages entravaient la circulation des véhicules de transport en commun. Pour remédier à cette situation, le vélo, qui devrait être intégré au système de bus, est encouragé, ainsi que l’usage des terrains adjacents aux voies ferrées qui traversent la ville. En 2013, un plan vélo a été adopté visant à réaménager 100 km de pistes cyclables existantes, à créer un nouveau réseau cyclable de 200 km, des places de stationnement pour vélos dans l’ensemble des terminus de bus et des parcs, tout en étendant le réseau de pistes jusqu’à la zone industrielle. 

L’exemple de Curitiba nous livre deux leçons : d’abord l’importance d’une planification globale à long terme d’infrastructures qui donnent la priorité aux besoins des habitants, ensuite, l’aptitude à innover et à s’améliorer sans cesse, car aucun système n’est parfait et que des problèmes surgissent toujours.

Emilia Hanna