Londres — imaginez une ville qui ne suffoque pas, étouffée par les voitures

J'ai grandi dans l'Essex, au nord de Londres où la vie semblait tourner autour de la voiture. Celle-ci trônait au centre de ma ville, sous la forme d'un immense parking en béton d’architecture brutaliste à plusieurs étages, et au cœur de notre vie familiale. Le temps qui passait était mesuré par la succession des voitures — aux formes et aux couleurs changeantes — que mon défunt père achetait et conduisait pour le travail, les vacances, les courses hebdomadaires et les sorties sportives du weekend. Mais la voiture était aussi une source de stress immense : la recherche interminable d’une place de parking, l'angoisse de la voir rayée ou cabossée, les embouteillages, l’inquiétude quant à l’image que donne de soi le modèle que l’on possède, la colère envers les autres conducteurs et la peur d’avoir laissé les fenêtres ouvertes ou les portes déverrouillées lorsqu'on l’avait quittée. Comme nous sommes dans l'Essex, la patrie du « boy racer », après une soirée, l’interminable procession de voitures qui versaient aux fossés rendait toujours plus périlleux le retour à la maison. 

 
 
Le temps qui passait était mesuré par la succession des voitures — aux formes et aux couleurs changeantes — que mon défunt père achetait et conduisait pour le travail, les vacances, les courses hebdomadaires et les sorties sportives du weekend.
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Il y a toujours eu quelque chose d'implacable et de dévorant dans la voiture. C'était avant que je n'entende parler du réchauffement climatique et des maladies cardiopulmonaires, ou que je ne sois frappé par le fait que le carnage des morts et des blessés dans les accidents de la route n’était rien d’autre qu'un aspect de la vie de tous les jours. Contrairement à la plupart de mes amis, je n'ai jamais appris à conduire. Et, depuis que j'ai déménagé à Londres, il y a longtemps, je ne monte presque plus dans une voiture. Cependant, vivant à Londres, et loin d'échapper à la culture obsessionnelle de la voiture de l'Essex, je trouve la capitale du Royaume-Uni plus étouffante que jamais. 

Devant chez moi, les rues sont encombrées de voitures des deux côtés, et souvent le trottoir aussi. Depuis que l'utilisation du GPS s’est répandue, l’espace entre les lignes de voitures garées, tel un canyon métallique au milieu de la chaussée, ressemble chaque jour davantage à une course effrénée aux raccourcis. Les conducteurs s'engouffrent dans des rues qui ne sont pas conçues pour les voitures pour gagner quelques minutes sur leur trajet, sans se soucier du bruit, de la pollution atmosphérique et des dangers physiques qu'ils créent, notamment pour les enfants qui vivent dans ces rues. Le dérèglement climatique aggrave les phénomènes météorologiques extrêmes en milieu urbain, une pandémie de pollution atmosphérique tue des milliers de personnes à Londres chaque année (et rend les gens plus vulnérables à d'autres épidémies comme celle du Covid-19), sans parler du nombre de morts et de blessés parmi les piétons, les cyclistes et les autres usagers de la route. Et, oui, parmi les conducteurs aussi. 

Dès la première semaine de janvier, Londres dépasse les limites de pollution de l'air fixées pour toute l'année. À Londres, 360 écoles primaires et 78 écoles secondaires sont situées dans des zones où les limites légales de pollution sont dépassées. Même les parcs et les terrains de jeux de la ville ne sont pas surs : plus d'un quart d'entre eux ne respectent pas les limites internationales de sécurité en matière de qualité de l'air.

 
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Dès la première semaine de janvier, Londres dépasse les limites de pollution de l’air fixées pour toute l’année. À Londres, 360 écoles primaires et 78 écoles secondaires sont situées dans des zones où les limites légales de pollution sont dépassées.
 

Alors que l'espace pour les personnes et la nature est de plus en plus rare dans les villes, une place, considérable estimée à 50 km² pour la seule ville de Londres, est occupée par les voitures — places de stationnement et réseau routier —. C'est l'équivalent d'environ 7000 terrains de football professionnels. 

Quelque chose semble avoir terriblement mal tourné. C'est un problème qui s’est imposé à nous, sans bruit, comme une route qui se remplit lentement, encombrée par le trafic. Les voitures ont été commercialisées pour le plaisir qu’elles procurent et pour leur commodité, mais aujourd'hui, elles enlèvent tout plaisir à la vie urbaine et créent de gros désagréments. Les nations ont considéré qu’avoir une industrie automobile était un symbole de virilité économique. Des systèmes de transport en commun urbain plus efficaces, comme le tramway, ont été activement supprimés pour faire place aux voitures particulières. Tout un nouveau secteur économique, celui du crédit, a vu le jour pour encourager les gens à acheter des voitures en s’endettant. De vastes sommes d’argent public ont été consacrées à de nouvelles infrastructures pour la voiture. Les villes et leurs quartiers ont été découpés et modifiés pour convenir aux voitures. En bref, nous avons été pris au piège de la dépendance à la voiture, alors que la santé des gens et de la planète exige de toute urgence que nous l’utilisions bien, bien moins. 

La bonne nouvelle, cependant, parmi les rares qui nous arrivent dans le contexte traumatisant de la pandémie de Covid-19, est que nous avons vu à quelle vitesse une ville comme Londres, et plusieurs de ses arrondissements, peuvent changer. Des mesures innovantes ont montré la voie à suivre pour améliorer la qualité de l’air, rendre les rues plus sures pour les piétons, les cyclistes et les enfants y qui jouent, et réduire le trafic dans les zones résidentielles. Au moment où le confinement a été le plus strict, la pollution de l’air dans certaines villes britanniques a baissé de 60 %. 

En outre, plus l’utilisation de la voiture sera réduite par ceux qui n’ont pas vraiment besoin de la prendre, plus le confort routier de ceux qui ont vraiment besoin de la prendre augmentera. À l’heure actuelle, au Royaume-Uni, même pour de courts trajets d’un à deux kilomètres, six personnes sur dix continuent de prendre la voiture. 

Des leçons ont également été tirées quant à la meilleure façon de mettre en place de nouveaux projets. Certains ont protesté bruyamment parce qu’on leur demandait de changer leurs habitudes dans l’intérêt du grand public. D’autres protestations semblent avoir été dictées par l’opportunisme politique. Mais on a aujourd’hui, enfin, le sentiment que les attitudes à l’égard des transports urbains ont changé, et que l’on est de plus en plus réticent à accepter les couts humains et environnementaux d’une dépendance excessive à l’égard de la voiture. Près de 30 % des ménages européens n’ont de toute façon pas de voiture privée. Un conseiller municipal d’Amsterdam a récemment réussi à faire adopter un projet de suppression de 10 000 places de parking. Dans le centre-ville de Copenhague, 80 % des déplacements se font à pied et 14 % à vélo. Le centre-ville d’Oslo est en passe de devenir totalement dépourvu de voitures particulières.

 
Un conseiller municipal d’Amsterdam a récemment réussi à faire adopter un projet de suppression de 10 000 places de parking.
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Plus encore, beaucoup ont pu apercevoir à quel point la vie pourrait être meilleure dans des villes qui ne suffoquent pas, étouffées par les voitures. En réunissant Londres, New York et Paris pour montrer comment les grandes mégalopoles peuvent se réinventer, nous espérons insuffler de l’énergie et de l’air pur dans ce processus de changement. Pour un avenir meilleur, j’attends avec impatience le jour où la voiture se déplacera du centre à la périphérie de la vie urbaine. 

Andrew Simms

 
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Emma Kemp